Suicide Island

Suicide Island
Le mythe de Suicide Island, tout le monde en a entendu parler, du moins sur le net. Une île perdue au milieu de nulle part où le gouvernement japonais enverrait ceux qui le dérangent : les exilés, suicidaires récidivistes, tous ceux qui « n'acceptent pas leur devoir de vivre » dans cette société où le désespoir n'a pas sa place. On se dit toujours que la vérité est encore loin, jusqu'au jour où…

Sei, après une énième tentative de suicide, va se retrouver là-bas, avec une soixantaine de personnes. Perdus, sans ressources, quel désir sera le plus fort ? Celui de vivre, ou de laisser tomber le rideau… une dernière fois ?

Sei : 19 ans, et une envie d'en finir qui l'a poussé maintes fois à passer à l'acte sans réussir. D'abord tétanisé par la situation dans laquelle il se trouve, Sei trouvera en lui la force d'avancer vers les autres, et vers une vision d'une existence dans laquelle il se sentirait vraiment vivant. Ou serait-ce encore une illusion ?

Kai : On sait très peu de choses sur lui, si ce n'est qu'il est plus âgé que Sei, et qu'il le connaît déjà. Kai l'a en effet rencontré dans le centre où ils ont tous deux fait un passage plus ou moins long. Discret, il apparaît peu à peu comme quelqu'un qui possède de grandes connaissances en survie. Cependant, il parait aussi très détaché des choses. Trop peut-être.

Ryou : Débrouillard, de la volonté à revendre, Ryou n'a pas le profil du dépressif type, et on le lui fait vite remarquer, ainsi que sa position de « leader » qu'il a acquise assez rapidement. Mais il ne faut pas se fier aux apparences… Dans son ombre, sont aussi omniscients les fantômes du passé.

L'inconnue : Son prénom n'est jamais clairement mentionné, mais elle est l'une des présences féminines les plus marquantes. Belle, distante, elle se tient souvent à la frontière. Au bord de ce toit, d'où elle ne saute pas, en suspens. On se doute un peu que Sei en pince pour elle.

Quel sujet difficile et délicat à traiter que le suicide, et pourtant Kouji Mori le fait d'une manière assez particulière. C'est un mélange de tristesse et de rudesse.
L'ambiance est glauque oui, et l'arrivée de notre petite troupe d'exilés ne se fera pas en douceur, le désespoir est comme un gouffre de plus en plus sombre sous leurs pieds.
Mais là où on aurait pu trouver des histoires disons peut-être classiques, récits personnels se voulant larmoyants, des scènes touchantes, au risque de tomber dans le cliché et la mièvrerie, on a avec Suicide Island, une certaine pudeur, et même une âpreté des personnages, vis-à-vis des autres, mais aussi d'eux-mêmes.
C'est brutal, sans détour, dans une simplicité froide, un détachement qui désarçonne parfois, jusque dans le discours de certains personnages.

La violence est omniprésente, surtout dans les premières planches, et certains pourraient se dire qu'on va virer vers un « Battle royal », mais si l'enjeu pour certains est finalement de survivre malgré tout, il ne s'agit pas de s'entretuer. Ou du moins pas obligatoirement. Il faut juste survivre, si on le veut vraiment.
Même si cela révèle parfois la noirceur des désirs humains, des désirs désespérés mais non moins condamnables.
Au final, plus on avance dans la lecture et plus la violence se fait discrète, mais non moins forte. Elle est beaucoup plus psychologique, jouant sur les décisions prises, le mental des troupes, et de ce qui les fait tenir, chuter, douter.
Car oui, pourquoi s'obstiner à vivre alors que l'on avait, il y a quelques jours, l'envie d'en finir pour de bon ? Et c'est autour de cette question que le manga tourne principalement.

Où vont-ils, que ce soit le « héros », ou ses comparses, chercher au fond d'eux, ce qui les empêcheraient de sauter le pas, malgré la tentation ?

L'atmosphère est à la fois très lourde et en même temps, n'est pas toujours imprégnée de cette note de noirceur, de désespoir qui les habitent pourtant à tout moment. L'espoir est ténu, à peine perceptible, mais on sent le courage refaire surface par moment.
Livrés à eux-mêmes, les personnages vont finalement essayer de trouver un sens à leur vie, tâtonnant pour rester en vie. Ils doutent de leur place dans une telle société, mais peu à peu, ils prennent également conscience qu'ils ne veulent pas perdre le mince filet d'estime qu'ils ont réussi à acquérir à nouveau, sur cette île.

C'est cette balance entre espoir et rechute, l'inconstance de ce sentiment qui nous permet de s'accrocher, de s'identifier à ce qu'ils peuvent ressentir.
Au pied du mur, pour certains, ça sera la chute, et d'autres trouveront un nouveau souffle, comme Sei. Hésitant, bancal, et passif au départ (si vous avez envie de lui mettre des claques, c'est normal,... xD ) mais pourtant habité d'une envie presque incompréhensible de ne pas se laisser aller. De vivre. A ce moment là, les personnages commencent à évoluer, l'intrigue s'épaissit et les questions que l'on peut se poser foisonnent, laissées par les paroles, les questionnements même des protagonistes.

Suicide Island n'est donc pas un manga aussi simpliste que l'on pourrait croire (hop, on vous met une cinquantaine d'ado sur une île, survivez !), mais s'engage dans un récit psychologiquement complexe.
Car exister n'est pas simple, et on sent bien que ces ados sont constamment sur une corde raide, oscillant entre désirs passés/présent de mort, et envie de continuer.
Immédiatement, à travers les personnages, on aborde le sujet si flou relatif à ce sentiment de non-existence, comme s'il leur manquait quelque chose, sans jamais pouvoir le nommer, cette tristesse de l'âme, silencieuse.
Mais pas seulement : cette situation d'isolement, de survie extrême (même si l'on peut se poser des questions sur les « villages », baraquements qu'ils croisent au fur et à mesure...) révèlent aussi certaines cassures psychologiques, caractères vicieux et parfois même malsains de certains. Conséquences d'une société dans laquelle ils ne se sont pas intégrés ou véritables déviances ?
Qu'est-on prêt à faire pour survivre, dans un monde où n'existe aucune loi ?
Qu'est-ce que la nature humaine au fond, et qu'est-ce que l'humain a-t-il de si particulier pour ne pas arriver à vivre, simplement ? Que cherche-t-on constamment?

La vie en communauté, le rapport à la nature, autant humaine qu'animale, la confiance, le regard des autres, l'isolement social, le rejet, la violence morale, mais aussi le dépassement de soi sont d'autres thèmes développés dans la trame de fond de cette série. Sous couvert d'un scénario assez simple, le mangaka amène une critique bien amère de la société japonaise, où le silence par rapport au suicide est éloquent et la façon de gérer certains troubles psychologiques discutable. Ici, cela va plus loin, l'existence des récidivistes est effacée, complètement, comme quand on gomme un trait en trop sur une esquisse. Ils n'existent plus, comme si on ne voulait plus les voir, parce qu'en fait, on ne sait pas les gérer.
Ce background, ajouté à l'intensité et les émotions violentes qui se dégagent de certains passages, nous assure que Suicide Island possède une profondeur indéniable. C'est dur, poignant, et même si l'accent n'est pas forcément mis dessus dans le premier tome, le contexte géopolitique et social de l'histoire est ce qui va déterminer les péripéties de ces exilés, et prendra peu à peu de l'importance. Car on l'oublie un peu vite, mais c'est bien à cause du système mis en place dans cette société, que les jeunes se retrouvent sur Suicid Island, et les raisons ne semblent pas si claires que ce que le discours des médecins/politiciens veut bien le faire croire.

Le mangaka ne dévoile les informations qu'au compte-goutte, et même si on peut parfois regretter quelques longueurs, c'est aussi ces questions restées en suspens qui créent l'intérêt et la curiosité pour suivre la série, au delà de l'évolution particulière de chaque personnage. C'est cette dynamique, créée à partir des suspens de fin de chapitre, qui impose un rythme au récit, de façon à nous tenir en haleine.

Au-delà du scénario et de tout ce qui l'entoure, le trait est assez fluide, tout en courbes, sans fioritures. Et c'est peut-être ce qui fait un peu défaut à la série sur ses premières planches. Le dessin, très réaliste, au niveau des proportions, des silhouettes, est un peu irrégulier suivant les plans: très précis et fournis sur les paysages, et le décor, ainsi que sur les pages de chapitres où l'utilisation des ombres du noir/blanc est maitrisée, mais assez simpliste parfois au niveau des visages.
Trop d'ailleurs, alors que certaines planches, notamment celles dessinées dans l'obscurité donne un superbe rendu.
Mais cette façon de faire est aussi en quelque sorte la marque de Suicide Island, avec ces ados-adultes aux yeux vagues, agrandis, cernés et parfois inexpressifs. Ce style presque contemplatif, tout en étant angoissant dans son « silence ». C'est une patte particulière, à la fois très anatomique, et très lisse, comme si on « gommait » des éléments par moment mais au final, on arrive à s'y faire.
On peut noter une amélioration dans le deuxième tome où l'auteur semble prendre de l'assurance, même si le petit défaut persiste.

Même si elle possède certains bémols, la série fait preuve d'une intensité scénaristique qui constitue sa principale qualité. C'est creusé, réfléchi, réaliste. Et c'est surtout ce dernier point qui nous fait accrocher au récit. Les réactions, les introspections sont d'une véracité poignante.
Il faut "seulement" réussir à passer outre notre haussement de sourcil à la vue du graphisme.

Que nous vaudra la suite de Suicide Island ? Du lourd, on l'espère car elle en a le potentiel,et son intrigue s'épaissit et s'accélère au fil des tomes, aux côtés d'autres parutions classées Seinen, comme Ikigami, ou encore Dolls, séries à la critique acide et noire. Kôji Mori n'en est pas à son premier coup d'essai dans le genre…

Manga tout jeune, il y a bien sûr des possibilités de dérive (sait-on jamais s'il nous embarque à la manière de la série Lost…), de se perdre par rapport au postulat de départ, mais les premiers tomes sont bien partis pour nous faire suivre Sei et ses compagnons dans une aventure qui les amènera à se dépasser eux-mêmes...
Et une question persiste : Qu'est donc réellement cette île ?
, le 25.11.2012

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Titre original Jisatsutou
1ère parution
Genre(s) Drame
Volume(s) En cours
Auteur(s)
Éditeur Kaze Manga
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